• Bilan Carbone® d'un logement (mise à jour mai 2023)


  • Résumé

Limiter l'impact d'un bâtiment peu isolé sur le changement climatique à ses seules émissions de chauffage était, à la fin du XXème siècle et dans une logique de réduction de la facture énergétique, un premier réflexe légitime et censé. L'étude au cas par cas des logements neufs très bien isolés soulève cependant des interrogations lorsque l'on se penche leur impact global, incluant la phase de construction et les déplacements individuels qu'ils entraîneront. Eriger en modèle climatique certains nouveaux logements prétendus "sans consommation énergétique" (ndlr "de chauffage" et "en moyenne annuelle") fait s'interroger sur leurs véritables émissions globales de gaz à effet de serre s'ils étaient généralisés, lorsque l'on observe la nature de leur bâti, la surface foncière mobilisée, ou leur localisation. L'étude simplifiée ci-dessous a pour objet d'apporter un éclairage sur les performances relatives de chaque poste contributif aux émissions de gaz à effet de serre d'un projet résidentiel.

 

  • Description sommaire d'un logement type

Nous allons dans un premier temps considérer un projet de logement neuf de 100 m2 habitables conçu actuellement, c'est à dire respectant la réglementation thermique RT 2012. Deux possibilités sont généralement offertes : une petite maison individuelle ou un appartement. Nous considérerons dans un premier temps l'impact moyen entre :

  1. une maison individuelle de lotissement de plain-pied, de conception conventionnelle maçonnée, disposant d'un garage attenant de 20 m2. Elle est constituée de fondations superficielles, d'un plancher hourdis sur vide sanitaire, de murs extérieurs en parpaings enduits, de cloisons intérieures en panneaux de plâtre, de fenêtres et porte-fenêtres en PVC, d'une charpente en bois de type fermettes et d'une couverture en tuiles béton. Les sols sont en carrelage et en parquet. Les voiries neuves du lotissement correspondent à 50 m2 par maison.
  2. un appartement de même plan et finitions intérieures, aménagé dans un immeuble de conception conventionnelle en béton banché, disposant d'une place de parking en sous-sol. Il est fondé sur une moyenne de fondations superficielles et de pieux béton. Les voiries neuves adjacentes à l'immeuble correspondent à 30 m2 par appartement.

Ce logement est supposé être prochainement construit à Saint-Médard-en-Jalles (à proximité de Bordeaux), c'est à dire sur une localisation relativement moyenne en France, ni au centre d'une métropole, ni en milieu rural.

 

  • Préambule sur cette approche Bilan Carbone®

Nous devons ici estimer le Bilan Carbone® d'un bâtiment qui n'existe pas encore, et sur lequel nous allons faire une étude comparative d'alternatives. Nous allons donc utiliser une approche qui privilégie les facteurs d'émission dits "marginaux", c'est à dire liés aux suppléments ou aux économies de production des moyens impliqués. Cela permet, par différence des totaux d'émissions de chaque hypothèse constructive, de juger de manière réaliste le surplus ou les moindres émissions réellement engendrées par l'une d'elles par rapport à une autre, voire par rapport au fait d'abandonner ce projet.

Ce point est très important à appréhender car les facteurs d'émissions dits "moyens", impropres à notre raisonnement, sont très largement répandus dans les bases de données. Souvent repris dans la réglementation, ils sont en effet parfaitement adaptés à l'évaluation d'une situation existante, mais pas à l'évaluation des impacts consécutifs à la réalisation de projets, qu'ils soient de rénovation ou d'extension.

 

  • Emissions Grises

La partie relative à la construction neuve du logement est présentée ci-dessous en tonnes équ. CO2 :

La construction du logement représente une émission de l'ordre de 46 tonnes équ. CO2. Environ 20 tonnes concernent les matériaux primaires utilisés, le reste le déroulement du chantier.

Le matériau le plus impactant est le ciment, présent dans le béton, les parpaings, le mortier, les enduits et aussi la voirie. Le deuxième est l'acier, essentiellement présent dans les armatures du béton.

Le puits de carbone est constitué par le recours au bois d'oeuvre (essentiellement de la charpente de la maison individuelle), extrait du CO2 de l'air par les arbres, sous réserve qu'ils proviennent de forêts durablement gérées. Le fait d'extraire le bois des grands arbres de ces forêts évite qu'ils se décomposent en fin de vie.

Le poste principal de la partie chantier est le transport, à la fois du personnel de chantier depuis leur domicile, et celui des matériaux depuis les usines primaires d'élaboration.

Il convient de préciser que l'ensemble de l'équipement mobilier représenterait quelques tonnes équ. CO2 supplémentaires, mais nous ne l'avons pas considéré car jugé au premier abord indépendant de la conception du logement.

 

  • Variantes de mode constructif

Le diagramme suivant regroupe diverses variantes techniques de construction de ce logement.

  1. la maison précédemment décrite (de construction conventionnelle maçonné)
  2. l'appartement précédemment décrit (de construction conventionnelle en béton)
  3. la même maison en structure à ossature bois
  4. un complément comprenant une isolation encore plus efficace et l'adjonction de panneaux solaires photovoltaïques, lui permettant d'être qualifiée "à énergie zéro" (attention ce terme désigne un habitat dont la consommation énergétique est "nulle en moyenne annuelle", qui dans le cas présent signifie une surproduction d'électricité l'été et une surconsommation l'hiver, égales en kWh).
  5. la rénovation lourde d'un logement équivalent, datant d'avant le premier choc pétrolier et jamais rénové jusqu'ici, à l'aide notamment d'une isolation conventionnelle rapportée par l'extérieur.

L'appartement est environ 25 % plus émissif à la construction que la maison individuelle. La réalisation des places de parking en sous-sol et l'existence de parties communes (couloirs, escaliers, etc...) augmente la quantité de matériaux malgré la mutualisation de parois. Le puits de carbone de la charpente de la maison individuelle crée la majeure partie de la différence.

La construction de la version à ossature bois de la maison fait chuter les émissions de construction de 35 %, puits de carbone inclu. Il faut noter que dans cette hypothèse le bois est d'origine scandinave, source d'approvisionnement actuellement majeure du bois d'oeuvre en France. Dans l'hypothèse de bois d'origine régionale, un gain supplémentaire de fret peut être attendu, sous réserve de vérifier que sa préconisation sur le projet ne contribue pas à en approvisionner autant de Scandinavie par ailleurs, par simple effet de substitution.

Par ailleurs, si le chantier fait préalablement l'objet d'abattage d'arbres sans replantage, ou de démolition d'une ancienne maison comprenant du bois, leur puits de carbone doit être déduit du Bilan Carbone® du logement neuf car il conduit a priori à en libérer le carbone stocké.

L'atteinte d'une qualification "énergie zéro" ajoute des émissions de construction significatives du fait du contenu en gaz à effet de serre des panneaux photovoltaïques dont la fabrication est particulièrement énergivore et donc émissive.

La réhabilitation d'un logement ancien est d'un impact moindre mais qui demeure significatif, notamment par l'usage dans cet exemple de matériaux minéraux pour l'isolation, le bardage, son ossature et l'enduit de façade.

 

  • Emissions d'utilisation intérieure

Le diagramme suivant regroupe diverses options de construction et de chauffage de la maison. Afin de percevoir leur importance relative, les émissions de construction et des déplacements (sans changement de localisation) ont été aussi reportées sur la base d'un cycle de vie de 60 ans.

  1. maison individuelle conventionnelle RT 2012 en chauffage individuel gaz
  2. appartement conventionnel RT 2012 en chauffage collectif gaz
  3. maison à ossature bois RT 2012 en chauffage sur pompe à chaleur électrique
  4. variante à "énergie zéro" de la première maison
  5. réhabilitation lourde d'un logement initialement plutôt énergivore

On peut constater que les émissions des consommations intérieures des deux maisons sont très proches, alors qu'elles ont retenu des choix énergétiques radicalement différents (gaz vs électricité). Cela provient du fait que la RT 2012 plafonne les consommations énergétiques en "énergie primaire", c'est à dire en pénalisant les consommations électriques d'un coefficient multiplicateur de 2,58. Cela oblige des systèmes utilisant l'électricité à recourir à des systèmes thermodynamiques très performants. Or il se trouve qu'en émission marginale, le kWh d'électricité a un impact 2 à 2.5 fois supérieur à celui du gaz, auquel s'ajoutent quelques fuites de gaz frigorigènes. Sur son périmètre de calcul et sans l'écrire, la RT 2012 revient donc à peu près à plafonner les consommations énergétiques selon leurs émissions marginales de gaz à effet de serre (voir quiz n°1).

Les émissions des consommations énergétiques de l'appartement sont étrangement supérieures à celles des maisons individuelles, alors que certaines parois communes entre appartements limitent les déperditions. Cela provient d'un plafonnement de consommations annuelles réglementaires supérieur des logements collectifs par rapport aux maisons individuelles (7.5 kWh ep / m2 autorisés en plus), ce qui entraîne un moindre recours aux solutions les plus économes pour réduire l'investissement initial.

Par ailleurs, les déplacements contraints de l'appartement sont supérieurs car ils incluent l'absence de jardin privatif, ce dernier étant statistiquement reconnu pour sa capacité à diminuer les émissions globales des déplacements de loisirs des ménages qui en disposent (phénomène parfois dénommé "effet barbecue").

Sur ce graphique où la localisation est prédéterminée, l'appartement n'est pas d'évidence meilleur que l'habitat individuel. Son intérêt carbone est en fait de pouvoir densifier davantage un site que les maisons individuelles groupées ne le pourraient, ce qui permet d'éviter de construire ailleurs l'écart de nombre de logements, dans des sites disponibles parfois éloignés. En France, la variabilité du poste des déplacements contraints est de l'ordre de 1 à 4 t équ. CO2 / an / logement de 100 m2 ha (estimations BCO2 Ingénierie), depuis les localisations situées au centre des grandes villes jusqu'à la frontière de l'étalement urbain des métropoles. 

L'option à "énergie zéro" a un "retour sur investissement CO2" de l'ordre de 6 à 7 ans pour une durée de vie supposée des panneaux photovoltaïques de l'ordre de 25 ans. "énergie zéro" ne signifie pas "émissions d'utilisation intérieure zéro" : son périmètre restreint d'évaluation exclue la consommation des appareils domestiques, les écarts de saisonnalité entre production et consommation, et enfin l'amortissement des émissions spécifiques de construction.

La réhabilitation du logement glouton montre que les moindres émissions annuelles compensent largement les émissions de construction, même dans le cas de cette réhabilitation complète dite "lourde" qui ne comprend pas que des travaux "à but énergétique".

Enfin, dans le cas où le logement neuf viendrait en substitution d'un logement vétuste préalablement démoli, il conviendrait de soustraire les émissions initiales. Le Bilan Carbone® serait alors probablement négatif ; la question est alors : valait-il mieux réhabiliter le logement plutôt que de le démolir, quitte à obtenir une "performance énergétique" moindre... Tous les cas existent !

 

  • Synthèse

Ci-dessous un diagramme représentant une estimation du Bilan Carbone® d'un logement neuf conventionnel de performance énergétique variable au fil des évolutions des exigences minimales de la Réglementation Thermique (datant de 1975), avec une hypothèse prospective de contenu de la réglementation environnementale RE 2020  :

Un premier constat tombe sous le sens : après plus de trois décennies de réglementations thermiques successives s'appliquant au départ à des bâtiments absolument pas isolés, le poste chauffage, initialement très majoritaire, a été largement diminué et a été dépassé en importance relative par les déplacements contraints, par la construction, et par les autres usages domestiques de l'électricité.

Parmi les pistes significatives de réduction des émissions actuelles, il conviendra de particulièrement considérer les émissions grises et plus particulièrement la nature des fondations et des infrastructures en sous-sol, une modération dans l'usage du béton de masse, le recours à des ossatures, en bois si possible, et plus globalement l'usage de matériaux naturels ou recyclés, peu transformés et locaux.

La recherche de performance énergétique supplémentaire devra certainement davantage être considérée au travers des habitudes d'usage des résidents et du maintien effectif de la performance sur plusieurs décennies, plutôt low tech, que sur la volonté d'améliorer sur le papier les consommations théoriques de l'ouvrage suivant un calcul très conventionnel. 

Ce diagramme ne concerne que les logements neufs. C'est cependant du côté de la réhabilitation des bâtiments existants énergivores qu'il faut chercher les meilleures performances en terme d'amélioration des émissions, les durées d'amortissement des émissions de construction étant alors souvent courtes.

 

Cette simulation a été réalisée à l'aide de l'outil "Bâtiment" de BCO2 Ingénierie, et selon les principes de la méthode Bilan Carbone® de l'ADEME version 8.8, qui permet dès l'avant-projet d'évaluer les émissions de gaz à effet de serre de l'ensemble des postes de construction et d'utilisation des projets de bâtiments, ainsi que de leurs alternatives.

 

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Analyse d'impacts environnementaux